bolivie . 1990-92

Décembre 2018 . J’arrive tout juste de ce merveilleux pays, qui a changé ma vie dans les années ’90. Je joindrai bientôt le lien pour accéder à un nouveau site où seront regroupés tous mes carnets de voyage.

septembre 1990 – décembre 1992

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L’OCSD / Organisme de Coopération, de Solidarité et Développement, devenu ensuite Oxfam-Québec, recherche un-e graphiste en Bolivie. Une annonce qui ne me laisse pas indifférente, mais qui me porte à réfléchir alors que j’étais graphiste au secteur culturel et que les affaires allaient plutôt bien. J’avais 34 ans et des personnes de mon entourage, qui allaient avoir 30 ans, s’inquiétaient du fait d’avoir un 2e enfant ou d’ouvrir une 3e boutique… J’ai donc décidé de fuir cette frénésie arriviste et de remplir les formulaires.

J’ai mis du temps à me décider et au moment où je les ai envoyés, on m’avise que le poste est comblé, mais qu’on garde mon dossier pour la banque de candidature. Au printemps, je reçois un appel, la candidate s’est désistée au dernier moment… Je pourrai donc faire la même chose.

Je vais à l’entrevue à vélo, désinvolte et sans attente. Le contrat de 2 ans consiste à travailler avec 2 groupes : instaurer de nouvelles techniques de travail à l’équipe de rédaction et de production de l’hebdomadaire Aquì, qui défend les droits des indigènes, et dispenser des formations de mise en page à des professionnel-les du pays par l’intermédiaire de CIMCA, un centre de formation communautaire.

En voyant mon portfolio, les responsables m’avisent que j’aurai à travailler avec des moyens réduits et avec des résultats sans prestige. Je réponds être fatiguée de produire de beaux contenants vides de contenu, ce qui n’était évidemment pas toujours le cas. Toutefois, je dois admettre avoir été déçue et avoir été blasée par l’enrichissement du milieu de l’art au détriment des artistes.

Alors que j’étais en pleine production d’un numéro d’ETC Montréal, on m’avise que je suis la candidate sélectionnée et qu’une formation de 3 jours est prévue en préparation du départ. J’y ferai la connaissance de Linda, chargée de projet et qui œuvre toujours en coopération, avec qui je partirai et qui deviendra ma voisine de palier aux 26 et 27e étages de l’Alameda, édifice du centre-ville de La Paz.

Nous étions une quinzaine à partir vers l’Amérique du Sud, l’Afrique et l’Asie… nous allions participer à changer le monde. Cette aventure a effectivement changé ma vie. J’ai laissé derrière moi le petit j-set du milieu de l’art alternatif montréalais pour retrouver celui de la Bolivie. Mais avant tout, réapprendre à vivre selon des règles plus saines et avec ce que j’avais dans mes poches. J’ai surtout ouvert les yeux sur des réalités bien loin du capitalisme nord-américain, sur des cultures ancestrales qu’on a asservies et appauvries…

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Nous sommes donc arrivées en septembre pour aller passer 2 ½ mois à Cochabamba et apprendre l’espagnol par immersion. Linda s’est retrouvée dans une famille sympa, avec des fils étudiant à l’université et une vie sociale intéressante. J’ai été logée à l’étage d’une maison chez un couple ayant vécu aux États-Unis, qui me parlait en anglais, qui avait une boutique d’objets décoratifs de luxe et qui avait adopté un Bolivien, devenu délinquant, qui venait m’emprunter de l’argent…

2 professeures en alternance, Blanca le matin et Joni l’après-midi. Des exercices, des devoirs, dont regarder la télé et interdiction de se voir pour éviter de parler en français… Après 1 mois de ce régime strict et la famille qui voulait m’amener à l’église, j’ai appelé Linda lui suggérant de sortir pour mieux pratiquer. On a commencé par la sortie du vendredi soir dans un resto pour se défouler un peu, ensuite le cinéma et surtout aller danser et rencontrer des gens… La pratique valait bien les exercices et la télé et notre espagnol s’est très vite amélioré.

De retour à La Paz, on a commencé la recherche d’appartements et les visites de nos groupes de travail. J’ai bien failli abandonner après quelques mois à observer et détourner le regard sur la misère de gens ayant délaissé les montagnes pour la ville, voulant accéder à un mieux-vivre copié sur le modèle nord-américain. Tendre la main pour nourrir la famille, se protégeant du froid sous les cartons, enfants pieds nus sur les dalles glacées du Prado…

C’est en décidant d’offrir le meilleur de moi-même et de partager mes connaissances, à la demande de gens partout au pays, que j’y trouverai ma place. C’est donc en offrant des formations adaptées aux besoins des participant-es que j’ai fait le tour du pays. J’ai donc partagé mon temps entre l’hebdomadaire Aquì et le groupe CIMCA, tout en côtoyant les cultures Aymara et Quecha, propres aux autochtones de la Bolivie.

Je suis devenue très politisée en m’initiant à l’histoire des pays conquis, en me rappelant le Che… et en apprenant à défendre, moi aussi, les droits des indigènes. J’ai fini par trouver scandaleux le pillage culturel fait par les Espagnols et les Jésuites… qui ont dénaturalisé ces pays et asservi leurs habitants.

L’endroit qui m’a le plus touchée et intriguée est Tiwanaku. Ce site archéologique d’une civilisation pré-incaïque, qui date du12e siècle avant Jésus, est situé sur l’Altiplano à 15 kilomètres au sud du lac Titikaka, à 3 850 mètres d’altitude. C’est au moment du solstice d’été, le 21 juin, que les Aymaras viennent y célébrer un rituel autour de la Puerta del Sol, en hommage à la Pachamama, déesse de la Terre et à Inti, le Dieu-Soleil.

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Cette cité sacrée était-elle un observatoire solaire ? Un site patrimoine mondial de l’humanité qui fait encore l’objet de fouilles et qui recèle bien des secrets avec ses temples, pyramides, palais, musée, monolithes…

J’ai aussi beaucoup aimé Coroïco, ancienne mine d’or, où on peut rencontrer des gens de race noire, qui y sont arrivés comme esclaves. On y accède par une des routes les plus dangereuses au monde, à flan de montagnes et souvent au-dessus des nuages… précipices bien en vue. J’y suis allée pour préparer mon 1er cours de mise en page. 1 semaine au calme, isolée en plein cœur des Andes. Génial !

Et bien sûr Copacabana, petite ville en bordure du lac, face aux intrigantes Îles du Soleil et de la Lune. L’accès aux îles y était alors difficile, ce qui semble s’être beaucoup amélioré avec l’achalandage touristique. Le lac a été ensemencé avec de la truite arc-en-ciel canadienne. J’ai donc pris l’habitude d’aller en manger pour éviter l’anémie qui me guettait. La cuisine végétarienne n’était pas encore assez élaborée et je ne cuisinais pas. Je me suis vite retrouvée carencée. Juliana, qui venait à la maison les jeudis, faisait les courses, cuisinait un pastel de quinoa et faisait le ménage. Quand personne ne venait manger, je l’invitais à partager mon repas. Elle refusait disant que les employées devaient manger debout dans la cuisine. J’ai répondu que je ne voulais plus qu’elle vienne à la maison si elle refusait. Elle me parlait de ses enfants qui voulaient étudier et vivre à La Paz. Les cholos vivent sur l’Altiplano, un haut plateau qui surplombe la ville. Ce terme désigne les indigènes venant travailler chez les plus fortunés.

J’aimais beaucoup cette femme. Elle est partie parce que Marco, l’amoureux péruvien qui vivait à la maison, se faisait servir en la traitant de chola. Les Boliviens et les Péruviens se détestent. La Bolivie a perdu beaucoup de territoire au profit du Pérou, du Chili, de l’Argentine… Ce pays enclavé a tout de même réussi à préserver la culture andine, beaucoup mieux que ces pays environnants.

Je ne pouvais tout de même pas oublier mon intérêt pour l’art et la culture et j’ai été baptisée l’ambassadrice du Québec auprès du groupe Altiplano, dont je faisais la promotion auprès des autres coopérant-es. Edgar, le leader du groupe, est devenu un bon ami. Les musiciens venaient parfois à la maison pour finir la soirée et même une fois pour jouer lors d’une fête, au grand détriment des voisins.

J’ai aussi rencontré Alain, un musicien belge vivant en Australie, venu en Bolivie avec une bourse d’état pour s’inspirer de la musique andine. Il a aussi aidé à fabriquer des didgeridoo avec des tuyaux de plastique et a enseigné sa musique à des Boliviens. À la maison, il s’installait par terre avec son long didgeridoo, creusé dans un tronc d’eucalyptus et il jouait…

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Marco était danseur moderne et classique, alcoolique et narcomane. J’ai vécu avec lui les pires moments en couple, allant de l’humiliation à la violence. J’ai très vite mis fin à cette relation toxique. C’est par lui que j’ai connu plusieurs artistes, dont Monica Camacho, ayant étudié en Russie, elle a démarré sa compagnie et monté plusieurs pièces classiques, auxquelles j’ai participé, dont Carmina Burana et Carmen. J’ai aussi rencontré des gens en théâtre, poésie, peinture… Le milieu artistique bolivien est assez petit mais complètement éclaté. Il faut dire que les drogues affluent dans ce pays : cannabis, san pedro, cocaïne…

Avant d’être de la cocaïne, la feuille de coca est utilisée à sont état naturel comme infusion contre le soroche, le mal de l’altitude qui peut provoquer un arrêt cardiaque. On la trouve aussi sous forme de tisane en sachet, gomme à mâcher, dentifrice… et il semble qu’on ne puisse plus sortir ces produits manufacturés du pays.

Les Boliviens, aussi loin sont-ils être des grands centres internationaux, sont très à l’affût de la nouveauté. Déjà en 1990, le jeune directeur de CIMCA faisait de l’animation sur son Mac Performa. Il y avait d’ailleurs un distributeur Macintosh à La Paz et tous les groupes avec lesquels j’ai travaillé en étaient des usagers.

On était une trentaine de Québécois-es en Bolivie, dont plusieurs de nationalité canadienne, de retour dans leur pays avec des projets en coopération. Il va sans dire qu’on a beaucoup fait la fête et je crois même être devenue alcoolique à boire autant de Havana Club à environ 5$ la bouteille. Il est évident qu’on avait besoin de se retrouver et de se décharger des contraintes et frustrations vécues au quotidien. Lors des réunions de coopération, la fête s’organisait soit chez Linda et moi ou chez Sylvie et Mario, qui habitaient une grande maison à Sopochachi. Un de leurs fils est né en Bolivie.

Depuis plusieurs années, on se retrouve en été pour un repas et se remémorer les bons moments partagés entre les années 1990 et 92. Nous sommes une quinzaine de Québécois-es de souche et d‘adoption, et des personnes s’ajoutent d’une année à l’autre. C’est toujours un plaisir de se retrouver pour ce rituel bolivien.

Donc, de la Bolivie, je suis allée au Pérou avec Anne, 1 semaine aller-retour, surtout pour voir le Machu Picchu. Ensuite au Brésil, juste avant l’arrivée de Marie-Hélène. Les 2 ont beaucoup aimé ce pays, attachant et tellement différent de ce qu’on connaît culturellement.

La Bolivie m’a marquée et je compte y retourner pour voir ce qu’est devenu ce pays qui a changé ma vie. Je reste toujours en marge de la superficialité de la mondanité où que je sois dans le monde.

Je reviendrai sur le Pérou et le Brésil…